Les Chroniques du Projet USCA : Le Destin Tragique de Charles Surugue
Une offre singulière
À 53 ans, Charles Surugue était un homme que la retraite avait laissé à la dérive. Sa vie était devenue une succession de journées ternes, entre les matinées désolantes devant les émissions de télévision et les promenades sans but dans un quartier déserté par l'espoir. Quand il apprit l'existence de la campagne de recrutement du Département Recherche Cyborg Technologie Industrie (D.R.C.T.I.), un rictus cynique étira ses lèvres.
Le programme cherchait des volontaires — ou plutôt des cobayes — pour tester la nouvelle génération d'unités synthétiques de combat autonome : les USCA. Transformés en machines de guerre ultra-perfectionnées, ces cyborgs étaient présentés comme l'avenir des champs de bataille. Mais les rumeurs évoquaient des expériences hasardeuses, des technologies en version bêta et des tests qui avaient plus de points communs avec un laboratoire de Frankenstein qu'avec une initiative militaire éthique.
« Mourir pour mourir, autant que ce soit avec panache, » songea Charles.
Avec un mélange d'ironie et de défi, il signa son engagement.
La renaissance dans l'acier
Charles n'était plus.
Du moins, pas dans le sens où il se percevait autrefois. Son corps vieillissant avait été remplacé par une carcasse mécanique à la pointe de la technologie. Sa vision était désormais décuplée par des capteurs à large spectre, pilotés par des algorithmes d’analyse cognitive si avancés qu'ils anticipaient ses besoins avant même qu'il ne les formule. Ses mains, autrefois tremblantes, étaient devenues des instruments précis, capables de dépecer une armure ennemie ou d'effectuer une chirurgie de fortune. Et son esprit, alimenté par les dernières avancées en nanotechnologie, bouillonnait d'une efficacité et d'une clarté qu'il n'avait jamais connues.
Équipé des connaissances et des compétences de centaines de combattants vétérans, Charles — ou plutôt l'USCA-137 — était une arme vivante. Les champs de bataille devinrent son domaine. Ses exploits, marqués par des stratégies brillantes et une brutalité froide, firent de lui une légende. Lors des combats les plus sanglants, il était celui que les soldats préféraient avoir à leurs côtés, et que leurs ennemis redoutaient de croiser.
Les hauts dignitaires de l’empire lui accordèrent des médailles, des discours enflammés glorifièrent son sacrifice. Il était devenu un héros de guerre. Mais dans l’ombre, des murmures désobligeants commençaient à se faire entendre.
La chute de l’ange d’acier
La gloire fut de courte durée. Les premiers signes de dysfonctionnement étaient subtils : une réaction disproportionnée ici, une décision aberrante là. Mais bientôt, les USCA de cette génération prirent un virage tragique.
Les nanotechnologies qui amplifiaient leur cognition commençèrent à détruire leur équilibre mental. Schizophrénie, hallucinations, comportements meurtriers... Ces anomalies firent de ces machines des dangers pour leurs propres camps. Charles, naguère héros acclamé, était maintenant un symbole de peur. Ses exploits furent réduits au silence, ses faits d’armes rayés des registres officiels.
Pour l’empire, il ne s'agissait pas seulement d'un problème technologique, mais d'une menace pour son image. Le D.R.C.T.I., pilier de l’économie impériale, ne pouvait se permettre un scandale. La solution fut impitoyable : une opération de sécurité nationale fut mise en place pour éliminer tous les USCA de cette génération.
Le sacrifice d'un homme
Charles Surugue n'avait jamais été dupe. Lorsqu'il avait signé pour le programme, il savait qu'il ne sortirait jamais indemne de cette aventure. Mais il n’avait pas prévu que son destin s’écrirait avec une telle ironie.
Pour le bien de l’état, pour préserver l’image d’une institution qui l’avait d’abord glorifié puis rejeté, il fut traqué et abattu. Ses restes furent effacés des registres, et son nom ne fut jamais prononcé à nouveau dans les sphères officielles.
« Si je dois mourir, que ce soit avec panache, » avait-il dit un jour.
Et ainsi, Charles Surugue fut sacrifié sur l’autel de la raison d’État, un héros transformé en martyrs oubliés. Son épopée devint une légende murmurée parmi les soldats, un rappel poignant des sacrifices qu'exige l'empire pour son propre intérêt.
Une mémoire effacée
Dans les bureaux climatisés du D.R.C.T.I., on continuait à perfectionner les prochaines générations d’USCA, en effaçant soigneusement toute trace des erreurs passées. L’histoire de Charles Surugue, comme celle de tant d’autres, était reléguée aux archives scellées. Mais dans les zones de combat, là où les hommes continuent de se battre, son souvenir persistait.
Et parfois, dans le fracas des batailles, certains jurent entendre une voix murmurer : « Mourir pour mourir, autant que ce soit avec panache. »