Sous l’éclat spectral des trois
lunes de la colonie 23331, un véhicule blindé de reconnaissance
fend la nuit. Le moteur ronronne, étouffé par le silence oppressant
des plaines. La lumière bleutée des phares balaie les reliefs
rocheux et les herbes hautes, projetant des ombres tremblantes sur le
paysage. À son bord, le
chef d’équipe, Tharreau Paul Antoine, un grand gaillard de 27 ans
au sourire contagieux et à l’âme d’aventurier, tenait fermement
le volant. Il commande
fièrement son éclaireur blindé, flanqué de ses deux camarades
Ronald
et Bastide.
Les
Dargon, forces spéciales redoutées, comptent sur leur unité
d'éclaireur les Sentinelles de l’Aube pour être les premiers à
mettre pied sur les futures colonies, détecter et annihiler tout
danger. On les appelle les "Nettoyeurs", un surnom
péjoratif qui leur colle à la peau. Mais pour Paul, Bastide, et
Ronald, ces éclaireurs, la moquerie n’a que peu d’importance.
Ils sont en quête d’aventure, et leur réputation leur suffit.
Le
paysage qui défile sous leurs roues est monotone : de vastes plaines
entrecoupées de monts rocheux, balayés par des brises et de brèves
averses. Une planète paisible. Trop paisible, disent certains. Rien
de notable à signaler, à part cette fois où Paul s’est
*héroïquement* blessé en tentant d’éplucher un fruit local. Le
couteau avait ripé, se plantant dans son propre biceps, sous les
rires moqueurs de ses compagnons.
Paul
avait l’habitude de dédramatiser, même les missions les plus
tendues, ce qui agaçait parfois ses camarades autant que cela les
rassurait. A la fois concentré et détendu, guide le véhicule avec
l’assurance d’un vétéran. Ce soir-là, la mission est simple :
trouver un lieu pour bivouaquer et reprendre des forces. Pas un péril
à l’horizon, pas une menace à éradiquer. Une routine qui, pour
les Sentinelles de l’Aube, frôle l’humiliation.
Ronald,
blond peroxydé de 25 ans, massait distraitement ses biceps, son
humeur joviale en décalage complet avec l’atmosphère qui
s’alourdissait.
"On
s’emmerde," déclare Ronald en s’étirant, brisant le
silence.
"On
dirait que cette foutue planète est morte depuis des siècles,"
grogne Ronald depuis le siège passager.
Il
tape nerveusement du pied sur le tableau de bord.
"Sérieusement,
on pourrait au moins avoir un caillou un peu agressif, histoire de se
dérouiller."
"Même
pas un fichu lézard à écraser. Sérieusement, c’est ça notre
mission ?"
Paul,
aux commandes, lance un regard amusé dans le rétroviseur. "Fais
gaffe à ce que tu souhaites, Ronald. La dernière fois que tu as
voulu de l’action, c’est toi qui as fini avec un nid de Skolons
sur la tête."
"C’était
un entraînement, ça ne compte pas," rétorque Ronald avec un
sourire éclatant. Sa chemise moulante trahit des muscles sculptés
par des heures de musculation. L’extraverti de l’équipe,
toujours prêt à relever un défi absurde.
Derrière
eux, le fougueux Bastide 22 ans au cheveux noir corbeau, plus jeune,
mais plus réfléchi, nettoie méthodiquement son arme. Il lève les
yeux, l’air sérieux. "N’empêche, si cette planète est
vraiment aussi morte qu’elle en a l’air, pourquoi nous envoyer
ici ? C’est trop calme, même pour une mission de reconnaissance."
Paul
hausse un sourcil, sans quitter la route des yeux. "Ordres des
supérieurs. On explore, on sécurise. Si tout va bien, cette colonie
deviendra une station de transit. Et nous, on passe pour des héros
qui ont bravé l’inconnu. Tout bénéf'."
Mais
derrière son sourire confiant, Paul ressent une pointe d’inquiétude.
Il sait que dans les missions des Dargon, l’ennui précède souvent
la catastrophe.
Depuis
l’arrière, Bastide réplique avec calme, tout en resserrant la
sangle de son fusil. "Préférerais-tu tomber sur un nid de
Kavouris ? Crois-moi, ça devient tout de suite moins marrant."
Ses yeux sombres fixent la nuit à travers la fente du blindage.
Réfléchi et méthodique, il joue souvent le rôle de modérateur
entre Ronald et Paul.
Paul,
lui, esquisse un sourire en coin sans quitter la route des yeux.
"Relax, les gars. On est là pour poser les bases. Pas de
danger, pas de stress. Et si on s’ennuie trop, je trouverai bien un
moyen de mettre un peu d’action."
Les
deux autres éclatent de rire. Ils connaissent Paul. Aventurier dans
l’âme, il a un don pour transformer l’ordinaire en spectacle.
Ses petites aventures, souvent maladroites, sont devenues des
anecdotes légendaires parmi les Dargon. Bastide le surnomme
affectueusement "le héros des incidents inutiles".
Le
seul événement marquant de la semaine s’était produit la veille,
lorsque Paul avait tenté d’éplucher un fruit local avec son
couteau militaire. Le fruit, coriace et glissant, avait eu raison de
son imprudence : la lame avait ripé, entaillant profondément son
biceps droit. Bastide et Ronald s’étaient tordus de rire,
transformant l’incident en une anecdote moqueuse qu’ils n’étaient
pas près d’oublier.
Un
Mystère Émerge
Alors
qu’ils traversent un plateau, un reflet inhabituel attire leur
attention.
Ce
soir-là, la routine est rompue. En surplomb d’une crête, ils
découvrent une structure inattendue : Une anomalie. Paul ralentit et
dévie de leur route initiale, intrigué. "Vous voyez ça ? Ça
ressemble à une structure. Peut-être une ruine."
La
curiosité électrise l’équipe. Les ruines, bien que rares, sont
toujours synonymes de mystère, et parfois de danger. Ronald ricane.
"Tu paries qu’il y aura au moins un trésor ou une saleté
extraterrestre à exterminer ? Ça pourrait enfin valoir le coup."
Ils
atteignent bientôt le site : une immense structure de pierre érodée,
en partie enfouie sous des dunes. Des colonnes brisées se dressent
comme des ossements dans le vent nocturne, et des symboles étranges
ornent encore les parois épargnées par le temps.
"C’est
quoi, ça ?" murmure Bastide, déjà prêt à descendre.
Bastide
descend du véhicule le premier, fusil en main, examinant les lieux
avec prudence. "C’est vieux… Très vieux. Et rien de tout ça
ne figure dans les archives."
Il ajuste son casque, scannant la
structure avec ses capteurs. "Aucune donnée dans les archives.
Ça n’a pas l’air humain."
A la place passager Ronald sourit,
enfin excité. "Alors, les gars, on fait quoi ? On entre et on
ramène un souvenir ? Peut-être une tête de statue à poser dans la
cantine ?"
Paul, cependant, est déjà hors du
véhicule, scrutant les gravures qui ornent la façade. "On ne
peut pas ignorer ça. Si c’est ce qu’on pense, ça pourrait être
une découverte majeure."
Bastide hésite. "Majeure, ou
dangereuse. On n’est pas équipés pour fouiller ce genre
d’endroit."
Paul
ne peut contenir son excitation. "On ne peut pas laisser ça
sans inspection. Je vais jeter un œil à l’intérieur."
"Seul ? T’es sérieux ?"
Bastide lève un sourcil sceptique. "On ne sait pas ce qui peut
se cacher là-dedans. Ça pourrait être piégé, instable, ou pire."
Mais Paul, fidèle à lui-même, ne
répond qu’avec un sourire et son fidèle couteau dégainé.
"Alors, reste là," répond
Paul avec un sourire en coin. "Moi, j’y vais."
Ronald hausse les épaules. "Laisse-le
faire. Il adore jouer les héros. Si ça tourne mal, on le tirera de
là."
Une Découverte Funeste
À l’intérieur, l’atmosphère est
glaciale. Le temple est sombre, son atmosphère alourdie par un air
vicié et stagnant. Chaque pas de Paul résonne, comme si les murs
murmuraient autour de lui. Paul avance prudemment, sa lampe balayant
les murs couverts de gravures étranges. Les motifs semblent bouger à
la limite de son champ de vision, mais à chaque fois qu’il
s’arrête, tout redevient immobile. Il secoue la tête, rejetant
cette impression comme un jeu de lumière.
Une douleur sourde monte dans son bras
droit, là où la blessure infligée par son propre couteau la
semaine passée semble s’être rouverte. Mais il ignore la
sensation, absorbé par les gravures étranges qui dansent sous la
lumière de sa lampe.
Au détour d’un couloir effondré, il
trébuche sur une pierre et s’arrête net. Un bassin, rempli d’un
liquide noir et iridescent, occupe le centre de la pièce. Les
gravures qui l’entourent sont différentes, plus marquées, presque
vivantes. Fasciné, Paul s’approche, ignorant les picotements dans
son bras. Une goutte de sueur perle sur son front tandis qu’il tend
la main, hypnotisé.
C’est alors que tout bascule.
Une ombre surgit du bassin. Invisible à
l’œil nu, elle s’infiltre dans sa plaie ouverte. Paul titube,
ses yeux se révulsent, et un hurlement guttural s’échappe de sa
gorge. Il tombe à genoux, puis disparaît dans le silence.
Le Massacre
Quand Paul émerge enfin des ruines, il
n’est plus lui-même. Ses traits sont déformés, ses yeux brillent
d’un éclat inhumain. Bastide et Ronald, qui attendaient près du
véhicule, se redressent aussitôt. "Paul ? Ça va ?"
demande Bastide, méfiant.
— «
Paul ? » Bastide fit un pas vers lui, inquiet. « Qu’est-ce qui se
passe ? T’as trouvé quoi là-dedans ? »
Paul
releva lentement la tête. Son sourire était vide, mécanique.
— «
Vous devriez voir ça... C’est... magnifique. »
Sa
voix était rauque, presque étrangère.
Ronald
s’approcha, mais Bastide l’arrêta. Paul n’était plus
lui-même. Son visage était livide, ses yeux voilés d’une absence
dérangeante.
«
Paul, ça va ? » demanda Bastide, inquiet.
— «
Attends, regarde ses yeux. Ils... »
Mais Paul ne répond pas. Sa
respiration est rauque, animale. En un éclair, il se jette sur eux
avec une force décuplée. Ronald tente de l’immobiliser, mais un
coup de couteau fend l’air et s’enfonce profondément dans son
torse. Bastide hurle, levant son arme, mais hésite une fraction de
seconde de trop. Paul – ou ce qu’il est devenu – frappe à
nouveau, avec une violence aveugle.
Le
reste ne fut qu’un chaos de cris étouffés et de chairs déchirées.
Quand le jour se lève, il ne reste
plus qu’un carnage. Les corps de Bastide et Ronald gisent dans des
positions grotesques, mutilés à l’extrême. Paul, quant à lui, a
disparu.
Épilogue : Un Mystère Sans Réponse
L’enquête conclura que la planète
abritait un parasite ancien, don l'ADN très proche connu sous le nom
de Kavouri. Une forme de vie intelligente et prédatrice, capable de
prendre le contrôle d’un hôte. Mais les réponses restent
fragmentaires, et les Dargon décideront d’abandonner
temporairement toute tentative de colonisation.
Paul Tharreau Antoine, éclaireur de
légende, restera dans les mémoires comme l’homme qui a découvert,
à ses dépens, une nouvelle forme de vie. Sa soif d’exploration
aura été sa perte, et son histoire, tragique, viendra hanter les
récits des colons de la colonie 23331.
Aujourd’hui
encore, les vents de 23331 murmurent cette histoire. On dit que si
vous écoutez bien, vous pouvez entendre les échos de Paul, hurlant
dans l’éternité, rongé par le regret. Il voulait découvrir
l’inconnu, et ce dernier l’a dévoré.