mardi 25 mars 2025

Ecusson des unités DARGON

 

Wallart Élie portait fièrement l'écusson brodé des unités DARGON sur son uniforme. Mais derrière ce symbole de puissance et de discipline, il y avait un homme dont la vie, autrefois, n'était qu'une fuite perpétuelle, une errance sans but à travers les méandres d'une existence fade et sans relief.

À 23 ans, chômeur et célibataire, Wallart Élie traînait son ennui dans un studio délabré. Son quotidien se résumait à des bières tièdes, un frigo presque vide et une fenêtre donnant sur un horizon gris et indifférent. Ce soir-là, affalé sur une chaise bancale, il gratta machinalement son dos, fixa la canette glacée dans sa main et murmura, amer : « Rien de mieux qu'une bonne bière pour oublier qu’on existe. »

L'alcool noyait son chagrin autant que son esprit. L’idéal d’une vie meilleure lui avait toujours échappé, laissant place à un vide abyssal. Alors, dans un moment d’ébriété et de lassitude, il décida de sortir, traînant son désespoir dans les rues de la mégapole illuminée par des néons criards et des panneaux publicitaires vantant une vie de gloire et de discipline.

Les slogans de recrutement des unités d'élite DARGON parsemaient les façades des immeubles, projetant leurs promesses comme autant de phares dans la nuit sombre de son existence. L’un d’eux capta son attention :

Nous recrutons !

_Oubliez le passé, une seconde chance s’offre à vous !_

_Franchisez le pas : la persévérance est un trait du combattant._

_Si l’honneur est votre résilience,_

_Si la vertu de l’ordre moral guide vos pas,_

_Alors vous avez l’attitude qu’il faut pour intégrer les unités d’élite DARGON._

_Sachez-le, la porte des forces spéciales vous est grande ouverte._

Engagez-vous !

Un rictus amer s’étira sur ses lèvres. Un sourire de moribond. Avait-il vraiment quelque chose à perdre ? Oublié de tous, même de Dieu, il se laissa happer par cette promesse d’un renouveau, d’un sens, même illusoire. Sans conviction mais sans alternative, il franchit la porte du centre de recrutement.

Quelques mois plus tard, il arborait fièrement son uniforme, soldat d’élite DARGON, prêt à prouver sa valeur. On l’envoya sur le front. Sa première mission : écraser la rébellion de la colonie 33 685, un monde qui avait osé proclamer son indépendance. Wallart Élie découvrit alors la guerre sous son véritable visage. Ce n’était pas l’héroïsme des affiches, ni la gloire des discours. C’était la boue, le sang et la folie.

Il tua. Il massacra. Sans émotion, sans passion. Juste l’exécution froide d’ordres donnés par des officiers dont les visages étaient toujours loin des lignes de front. Les miliciens tombaient par centaines, puis par milliers. Leur chair calcinée se mêlait aux cendres des villes en flammes.

Puis vint ce jour où il se retrouva face à un charnier. Une fosse béante, remplie de cadavres. Ils avaient à peine vingt ans. Avant d’être des rebelles, ils avaient été comme lui : des chômeurs, des âmes en quête d’un idéal, d’un échappatoire. Ils avaient cru fuir leur misère, et s’étaient retrouvés ici, jetés en pâture à la machine de guerre.

Le regard vide, Wallart Élie sortit son communicateur et prit une photo. Pourquoi ? Lui-même n’en savait rien. Peut-être pour se prouver qu’il était encore là, vivant au milieu des morts. Peut-être pour figer ce moment où il venait de perdre, une seconde fois, son âme.