COLONIE 14402 – ZONE SEMIE-DÉSERTIQUE – DÉBUT D'APRÈS-MIDI
Compton : Entre le Feu et le Métal
Sous le soleil impitoyable de la colonie 14402, l’escouade avançait péniblement. Le sol, couvert de cailloux et de poussière rouge, absorbait la chaleur pour la restituer en vagues suffocantes.
Quinze soldats progressaient en file, mais Compton, en tête, derrière sont chef d'escouade Chazot Albert pouvait sentir le poids invisible qui alourdissait chaque pas : celui des non-dits et des regards méfiants que les humains échangeaient avec les SUACR.
Quinze soldats, dont les trois quarts étaient des SUACR, ces synthétiques de combat mal aimés.
Comptons dans ses pensées, marmonna intérieurement.
Trois quarts de synthétiques… Bordel, c’est une blague ou un cauchemar ? Ces saloperies ne connaissent ni la fatigue, ni la peur, mais elles nous traînent dans les pires emmerdes. L’état-major a de l’humour, clairement.
Compton, soldat d’infanterie de 27 ans, était une étoile brillante dans cette équipe disparate : une tête brûlée à l’attitude imprévisible et à la carrure intimidante.
Une Tête Brûlée Mais Réfléchie
Engagé dans les unités spéciales DARGON par goût de l’aventure et de l’action, Compton était loin d’être un simple bourrin. Sous son air de fonceur se cachait une intelligence stratégique qui le rendait imprévisible pour ses compagnons d’arme. Mitrailleur de soutien, il était le pilier de son équipe, sa sulfateuse étant son véritable compagnon de combat. Il la surnommait « Idylle », comme pour souligner leur lien indéfectible.
Malgré son attitude parfois provocatrice, Compton assumait un rôle de pacificateur au sein de l’escouade. Lorsqu’une querelle éclatait, il intervenait, jouant le « paternel » pour rétablir l’ordre. Cependant, sa patience avait ses limites, et il ne supportait pas les ordres absurdes ou les directives qu’il jugeait contraires à la logique du terrain. Ça le rendait souvent irascible, mais aussi plus combatif sur le terrain – une qualité que son chef d’escouade avait appris à respecter, voire à craindre.
Sous une chaleur suffocante, l’escouade progressait lentement, leurs bottes soulevant une poussière fine qui semblait vouloir les étouffer davantage.
Un bruit de pierre déplacée fit sursauter un des soldats humains, jeune recrue nommée Laroche. Il jeta un coup d’œil nerveux vers le SUACR le plus proche, qui marchait d’un pas mécanique, les yeux fixes.
« Ils nous regardent, chef, » murmura Laroche à Compton.
« Non, gamin. Ils analysent. Chaque foutu détail. Et toi, arrête de leur donner des raisons de douter de nous, ou je t’en colle une, » répondit Compton, sans même tourner la tête.
L’Apparence Trompeuse des SUACR
Les synthétiques étaient troublants, presque humains. Leur peau artificielle était si réaliste qu’elle masquait leur vraie nature. Pas de cicatrices, pas de taches de rousseur, seulement des visages trop parfaits pour inspirer confiance. Leur démarche était stricte, trop précise, et leurs interactions calculées faisaient naître une tension palpable dans l’air. Pour beaucoup, combattre à leurs côtés était une malédiction.
« Chef… vous croyez qu’ils pensent ? » demanda un autre soldat, Pierri.
Compton s’arrêta, pivota légèrement pour regarder son équipe.
« Ils pensent, ouais. Mais pas comme nous. Eux, c’est du code. Des algorithmes. Si on leur dit de nous marcher dessus, ils le feront sans hésiter. »
Compton, en tête de file, s’arrêta brusquement et leva le poing pour signaler une pause. Les soldats s’effondrèrent presque sur place, cherchant un peu d’ombre, mais il n’y avait que la poussière et les rochers. Les SUACR restèrent debout, immobiles, surveillant l’horizon avec une vigilance qui aurait pu passer pour du zèle si elle n’était pas programmée.
Hale, le bavard du groupe, jeta son casque à terre et grogna :
— J’en peux plus de ces machines. Elles nous narguent avec leurs gueules lisses. Pas une goutte de sueur, pas une plainte. On dirait des vautours qui attendent qu’on crève pour ramasser les miettes.
Compton, assis sur un rocher, mastiquait une barre de ration. Il observa Hale avec un mélange d’agacement et de lassitude.
— Si tu veux les descendre, Hale, fais-le vite et discrètement. Sinon, boucle-la.
Hale ricana nerveusement.
— Sérieusement, chef. On sait tous qu’ils sont foutus. Pourquoi on traîne encore ces tas de ferraille avec nous ?
Garret, le vétéran taciturne, intervint d’une voix grave :
— Parce que l’état-major les aime bien. Et si on les supprime sans motif clair, on devra répondre de nos actes.
Compton hocha lentement la tête, son regard fixé sur les synthétiques.
— Garret a raison. Mais… (il se tourna vers Hale avec un sourire narquois) si l’un d’eux "malheureusement" tombe en panne, je doute que qui que ce soit en haut de l’échelle s’en inquiète.
Une altercation évitée
Un peu plus tard, alors que l’escouade reprenait sa marche, l’un des synthétiques, SUACR-315, s’adressa à Compton. Sa voix était neutre, dénuée d’émotion, mais l’effort pour paraître "amical" transparaissait dans le ton légèrement modulé.
— Soldat Compton, vos hommes montrent des signes d’épuisement. Proposition : augmenter la fréquence des pauses pour préserver leur efficacité.
Compton s’arrêta net et se retourna, faisant face au synthétique. Il s’approcha, son visage dur à quelques centimètres de celui, parfaitement lisse, de SUACR-315.
— T’as une idée géniale, tas de boulons. Pourquoi tu ne prends pas leur sac à dos pendant que t’y es ?
SUACR-315 inclina légèrement la tête, comme pour analyser la suggestion.
— Proposition acceptée. Transférez-moi les charges inutiles. Cela augmentera la mobilité de l’escouade.
Hale éclata de rire, un rire nerveux et moqueur.
— Il est sérieux, ce con !
Compton leva la main pour faire taire Hale, mais son ton devint plus acerbe en s’adressant au synthétique.
— T’as pas compris que c’était ironique ?
SUACR-315 resta figé un instant, ses yeux artificiels clignotant légèrement.
— Corrigé. Humour détecté. Inutile d’exécuter la proposition.
Une Tâche à Risque
Chazot Albert le chef d'escouade, bref et concis, donna un ordre impératif.
L’ordre tomba dans l’oreillette de Compton : ils devaient explorer une crête à l’horizon, zone jugée stratégique par l’état-major. Mais Compton savait. Ces ordres absurdes qui ne tenaient pas compte du terrain ou de la situation ? C’était presque toujours une recette pour un bain de sang.
Il rassembla son escouade.
« Ok, écoutez bien. On a une crête à fouiller là-bas. L’état-major pense qu’il y a peut-être quelque chose. Mais voilà la vérité : ils en savent autant que moi, c’est-à-dire que dalle. Alors on y va, mais on reste sur nos gardes.
Et vous… » Il pointa un doigt vers les synthétiques. « Pas de faux pas. Je vous ai à l’œil. »
Passez devant, vous allez ouvrir la voix.
Un SUACR tourna la tête, son visage neutre et froid. Sa voix synthétique retentit :
« Affirmatif nous suivrons les ordres, Sergent Compton. »
En monologue intérieur, Compton fronça les sourcils.
Suivront les ordres… jusqu’à ce qu’ils nous enterrent, ou pire. Pourquoi on doit traîner ces foutus tas de ferraille ? Ils ne sont pas humains. Ils ne respirent pas, ils ne rêvent pas. Ils ne comprennent pas ce que c’est de saigner. Et moi, je dois leur faire confiance ? Pas question.
Les Synthétiques Unités Autonomes de Combat Rapproché ont très mauvaise réputation !
Considérés comme peu fiables, on leur impute de nombreuses histoires sordides.
La mort n’est pour eux qu’un algorithme aléatoire, une inconnue mal maîtrisée.
Combattre aux côtés d’un synthétique est une malédiction, et peu sont enclins à les incorporer dans leur unité.
Ces machines, vestiges d’une ancienne génération, étaient connues pour leurs défaillances. Des algorithmes obsolètes rendaient leurs réactions imprévisibles : un moment, elles exécutaient des ordres avec une précision clinique ; le suivant, elles devenaient des dangers ambulants, tirant sans discernement ou déclenchant des explosions suicidaires.
Les rumeurs abondaient parmi les soldats. Certains parlaient de SUACR qui s’étaient retournés contre leur escouade en pleine bataille. D’autres évoquaient des machines qui, après avoir accompli leur mission, s’étaient figées, contemplant le carnage qu’elles avaient créé comme si elles pouvaient ressentir quelque chose d’approchant la culpabilité.
Soldats abattus par un SUACR devenu fou, escouades entières sacrifiées pour optimiser un calcul tactique, ou encore actes de barbarie gratuits sous couvert d’exécuter des ordres mal compris.
Compton n’était pas dupe. Il savait que ces histoires, bien que parfois exagérées, avaient une base de vérité. "Ces tas de ferraille vont nous planter," avait-il soufflé à son second la veille du départ.
La Tension Explose
Alors que l’escouade avançait vers la crête, un incident éclata. L’un des SUACR, dans un geste apparemment anodin, repoussa Laroche pour sécuriser un passage. Mais pour Laroche, c’était une agression.
« Hé ! Connard, touche-moi encore et je t’envoie au tapis ! » cria-t-il.
Le synthétique ne répondit pas. Pierri intervint, levant son arme.
« Chef, il faut faire quelque chose, là ! On peut pas bosser avec eux ! »
Compton s’interposa, écartant Pierri et Laroche.
« Du calme, tout le monde. Personne ne tire sur personne, compris ? »
Mais dans ses yeux, une décision mûrissait. Le regard fixe et vide des synthétiques, leur silence… Compton n’en pouvait plus.
L’Acte Décisif
Plus tard dans la soirée, alors que le soleil déclinait, Compton rassembla ses hommes.
« Écoutez… Les synthétiques sont un problème. Pas besoin de faire semblant. Si on veut survivre, il faut éliminer les variables. Et ces trucs en sont une. Vous êtes avec moi ? »
Un silence tendu s’installa, avant que Pierri ne hoche lentement la tête. Puis Laroche. Un à un, les humains approuvèrent.
Un Moment de Réflexion
Compton s’éloigne légèrement, posant sa sulfateuse contre un rocher. "Écoutez-moi bien," lance-t-il à ses hommes d’un ton grave. "On a tous entendu les histoires. Ces choses-là..." il pointe du doigt les SUACR qui marche devant un peu plus loin, "...on ne peut pas leur faire confiance. Et moi, je ne compte pas mourir à cause d’une erreur de programmation."
Le plan fut exécuté avec une précision froide.
Compton ouvrit le feu, la mort tonitruante résonnant comme le glas de leur destin funeste.
Les SUACR, avant l’instant final, se retournèrent avec une résignation presque humaine.
Ils n’ont même pas résisté. Juste obéi jusqu’à leur fin. Pourquoi ça me dérange autant ?
Pensa-t-il, le regard perdu.
Quand tout fut terminé, il s’approcha des carcasses fumantes, scrutant les visages de ses hommes. "C’est fini," dit-il simplement. "On avance."
Certains des soldats humains détournèrent le regard, mal à l’aise malgré la nécessité de l’acte. Compton, lui, resta impassible. Ce n’était pas la première fois qu’il devait faire un choix difficile, et il savait que ce ne serait pas la dernière.
Des corps enchevêtrés, désincarnés, brûlants et incandescents illuminent ainsi le regard de leurs assassins ! Au mépris de l’état-major, en début de mission, il y a des zones d’ombre, des non-dits…
Dans les unités DARGON, il est de coutume de supprimer les synthétiques.