Colonie 14402 — Zone 2123A
03h14, temps universel.
Zone 2123A de la Colonie 14402 au milieux des pleine boueuse un camps de fortune des unité Dargon trône fièrement comme un coq sur tas de fumier. Le temps est grisâtre propice a la mélancolie, le ciel de la colonie 14402 était une plaie purulente, la pluie tombait fine, sournoise, dessinant des perles froides sur les tôles cabossées du camp. Les flaques d’eau, éparpillées dans les ornières boueuses, reflétaient la lumière blafarde d’un soleil absent, offrant d’étranges éclats de vie dans ce tableau où tout respirait la mort. une pluie fine qui s’écrasait dans les flaques, déformant les reflets tremblotants des rares lueurs du camp. La lumière des projecteurs, filtrée par le voile humide, projetait des éclats d’argent sur la boue sombre, donnant à ce tableau de désolation une beauté froide et inattendue. La pluie tombait par vagues, transformant le sol en une bouillie gluante qui collait aux bottes des soldats, aux uniformes, aux âmes. Chaque pas s’accompagnait d’un bruit de succion dégoûtant, comme si la terre elle-même refusait de lâcher ses proies. Les flaques d’eau, miroirs éphémères, reflétaient un monde en décomposition : des visages creusés, des armes rouillées, des regards vides. Parfois, un éclair de lumière perçait la grisaille, et pendant une seconde, tout semblait beau. Puis la boue reprenait ses droits. Comme si la lumière elle-même hésitait à survivre dans ce paysage de ruines. La zone 2123A n’avait aucune valeur stratégique. Personne ne s’en souciait. Même sur les cartes de l’état-major, elle n’était qu’une tache, une erreur de cartographe, une chiure de mouche incrusté par négligence. Ici, on s’ennuyait. On s’enlisait dans la boue. La boue collait aux bottes, avalait les pas, et chaque souffle sortait en nuages froids. Et chaque journée s’étirait comme une éternité. Le ciel, d’un gris uniforme, pesait sur les épaules comme un couvercle sur un cercueil.
Les soldats y pourrissaient, rongés par l’ennui, la faim, et cette certitude lancinante : ils étaient oubliés. Oubliés des leurs. Oubliés de Dieu.
Dans la boue de ce poste avancé une escouade de vingt-cinq soldats des unités spéciales Dargon vivaient là, oubliés de tous. Ils tenaient leur position, retranchés comme des naufragés sur une île condamnée. Le camp de la Zone 2123A se dressait là, pathétique, plaques de métal cabossées et bâches déchirées battant au vent. Un avant-poste de fortune… et pourtant, pour les 25 hommes qui y tenaient encore, c’était le dernier bastion d’humanité.
En état de siège depuis plusieurs jours, le camp était pris au piège. Les Kavouri — stratège implacable, aux assauts méthodiques — encerclaient la zone.
Silencieux d’abord, puis omniprésents. L’ennemi avait encerclé le camp, pire encore, plaçant des brouilleurs avaient réduit les communications au silence. Impossible de communique la situation à l’état-major, aucun message ne passait, aucune demande de renfort ne parvenait. Plus de renforts, plus d’échappatoire , le silence était devenu une mort assuré.
La pluie frappait les tôles comme un tambour funéraire, l’air sentait la moisissure, la sueur et la peur.
Le commandant Lazare Ponticelli observait l’horizon, les mains crispées sur la poignée de son pistolet. Il sentait le poids des regards de ses hommes sur sa nuque. Vingt-cinq paires d’yeux injectés de sang, vingt-cinq visages creusés par la fatigue et la résignation. Ils savaient. Ils savaient tous que c’était fini.
Dans la tente de commandement, une lampe grésillait, jetant des ombres déformées sur les murs de toile. Le Commandant Lazare Ponticelli, trente-quatre ans, observait une carte chiffonnée qui ne servait plus à rien.
Son visage, marqué par les privations, restait impassible. Seul son regard trahissait la fatigue : deux éclats d’acier perdus dans la tourmente.
— On ne peut plus communiquer avec l’état-major, dit un sergent en brisant le silence.
— Le silence parlera pour nous, répondit Lazare d’une voix calme.
— Et les renforts ?
Lazare eut un sourire amer.
— Quand ils arriveront, il ne restera plus personne à sauver.
Ce n’était plus qu’une question d’heures… peut-être de minutes.
La mort marchait déjà vers eux.
Lazare inspira profondément, puis son regard s’enflamma d’une lueur étrange.
— "Peu importe. Nous vendrons chèrement notre peau."
Un silence pesant suivit ses mots. Même la pluie sembla s’arrêter un instant.
Seul le claquement irrégulier d’une goutte tombant d’un toit fendu rompait la torpeur.
— "Commandant… les Kavouri bougent toujours pas."
Ponticelli ne répondit pas. Il serra les dents, son souffle forma un léger nuage devant ses lèvres.
— "Ça fait trois jours qu’ils nous encerclent. Trois jours qu’ils jouent avec nos nerfs. Bordel, qu’ils attaquent !"
Un rire amer s’échappa d’un coin de la pièce. C’était Sergent Varnek, l’artilleur :
— "Tais-toi, gosse… Plus longtemps ils attendent, plus longtemps tu respires. Tu devrais les remercier."
Le soldat baissa les yeux, incapable de soutenir le regard du sergent.
Ponticelli parla enfin, d’une voix basse, mais tranchante :
— "Peu importe. Qu’ils viennent ou non, notre devoir reste le même : tenir."
Il se leva, son ombre massive projetée sur la tente, et parcourut des yeux les visages épuisés de ses hommes.
— "Je vais pas vous mentir. Personne ne viendra nous sauver. Pas de renforts. Pas d’exfiltration. Pas d’héroïsme."
Il fit une pause, son regard dur mais vibrant d’une étrange fierté.
— "Mais on est DARGON. Et tant que nous respirons… ils ne passeront pas."
Un silence.
Un souffle collectif.
Puis quelques hochements de tête. Les hommes savaient. Ils savaient tous.
Soldat Briev — (entrant timidement)
« Commandant… »
Ponticelli — (sans lever les yeux)
« Quoi, Briev ? »
Briev — (hésitant)
« Les hommes… ils demandent si… enfin… combien de temps on tient encore. »
Ponticelli — (un souffle amer lui échappe)
« Ça dépend. Tu veux la version douce, ou la version honnête ? »
Briev — (silence)
« … La version honnête, mon commandant. »
Ponticelli — (relève enfin la tête, son regard est éteint)
« Alors écoute bien. Quand ils décideront d’attaquer… on tiendra dix minutes. Quinze peut-être… si les dieux ont un sens de l’humour. »
Briev hoche la tête, la gorge serrée. Il ne répond rien. Il sait que tout le monde a déjà compris. Les regards échangés dans le camp sont plus bavards que n’importe quel discours : ici, la mort est une certitude. La seule inconnue, c’est l’heure.
Lazare sortit de la tente.
La pluie froide lui fouetta le visage, et soudain, il se revit avant tout ça.
Avant les Dargons, avant la guerre, Lazare Ponticelli n’était rien. Un fantôme dans un deux-pièces insalubre, au cœur d’une cité où les murs suintaient la misère et où les rêves pourrissaient avant même d’éclore. Il passait ses journées à observer, par la fenêtre crasseuse, les flaques d’eau qui reflétaient un ciel perpétuellement gris. Il avait appris à compter les gouttes de pluie qui glissaient le long de la vitre, à écouter les cris des enfants dans la cour, les engueulades des couples, les sirènes de police. Il vivait dans un monde en noir et blanc, où chaque jour était une répétition du précédent.
Et puis, il y avait eu la Croix de Guerre.
Ce soir-là, il la sortit de sa poche et la posa dans sa paume.
Sous la pluie, l’éclat du métal semblait presque irréel.
Reçue quelques semaines plus tôt, elle pesait dans sa poche comme une malédiction. « Une médaille pour les morts, » avait ricané le soldat Morvan en la voyant. Ponticelli avait souri, amer. « Au moins, ils ne m’auront pas attendu pour me l’épingler sur la poitrine.
Autour de lui, ses hommes avaient échangé des regards inquiets. L’un d’eux avait murmuré :
— "Commandant… c’est la médaille qu’on file aux morts, d’habitude."*
Un autre ajouta, nerveux :
— "Vous allez nous porter la poisse avec ça."
Puis un autres
— « Hum… la médaille du morts, » sur un ton sarcastique dit l’un de ses hommes.
D’habitude, on la donne aux gars après les avoir enterrés. »
— Tu sais ce qu’on dit, Commandant, avait plaisanté son second le Sergent Varnek.
— Dis-moi.
— Cette médaille, on la donne aux morts. Ceux qui tiennent jusqu’au bout… mais qu’on n’a pas le temps d’enterrer.
Lazare avait souri, d'un énième rictus fatigué :
— Alors je suppose qu’elle m’attendait depuis longtemps.
— Alors elle m’attendra.... encore un peu.
Ponticelli (sèchement)
« Ce n’est qu’un bout de métal, Sergent Varnek. Rien de plus. »
(il baisse la voix, presque un murmure)
« Mais ils ne l’auront pas. Celle-là… ils ne l’auront pas. »
Le quatrième jour, un vent étrange balaya le camp. Les Kavouri n’avaient toujours pas bougé. L’humidité rongeait les nerfs. Les hommes s’agitaient, incapables de rester en place. Certains affûtaient leurs couteaux pour la centième fois, d’autres gravaient des noms sur leurs fusils. Certains soldats jouaient aux cartes, d’autres nettoyaient leurs armes par automatisme, encore et encore. L’attente rongeait les nerfs. Les heures s’étiraient comme des jours.
La pluie, elle, ne cessait jamais.
Ponticelli marche entre les abris, inspectant ses hommes. Il s’arrête parfois pour poser une main sur une épaule, offrir un hochement de tête. Il sait que les mots ne suffisent plus.
Soldat Lasko, le plus jeune de l’escouade, à peine vingt ans, se balance d’avant en arrière, les yeux écarquillés :
— "On va tous crever… Hein ? Faut pas se mentir. On va y passer."
Varnek le fusille du regard :
— "Ferme-la, bleu."
Mais Lasko continue, la voix brisée :
— "C’est pas juste… On aurait pu nous sortir d’ici ! On nous a laissés crever comme des chiens !"
Ponticelli s’avance, lentement, et le saisit par le col, le forçant à le regarder droit dans les yeux :
— "Regarde-moi."
Lasko tremble.
— "Personne ne nous a laissés crever. On savait, tous, pourquoi on s’engageait. Ici, maintenant, on fait face. Pas pour eux là-haut, pas pour l’état-major… mais pour nous. Tu comprends ?"
Lasko hoche la tête, les lèvres serrées, et ravale ses sanglots.
— « Ils nous font mariner, ces enfoirés, » gronda Morvan, les doigts serrés sur son fusil. « Ils savent qu’on est à sec. Ils attendent qu’on craque. »
— « On ne craquera pas, » répondit Ponticelli, mais sa voix manquait de conviction.
« Facile à dire, mon commandant, » murmura Veyrat, les mains tremblantes. « Vous avez vu vos yeux ? On dirait ceux d’un mort. »
Ponticelli ne répondit pas. Il sortit la Croix de Guerre de sa poche et la fit tourner entre ses doigts. La médaille, froide et lourde, semblait peser plus que le métal. L'ennemie les Kavouris, la médaille lui brûlait la paume. Il savait ce qu’ils feraient de son cadavre, de ses décorations. Ils en feraient des trophées, des reliques de leur victoire. « Pas celle-ci, » gronda-t-il entre ses dents.
— « Vous croyez qu’ils vont vous enterrez avec ? » demanda Morvan, sarcastique. « Ou qu’ils la prendront pour la fondre en souvenir ? »
— « Ils ne l’auront pas, » murmura Ponticelli.
— « Qu’est-ce que vous racontez ? » Veyrat se rapprocha, méfiant. « Vous allez la cacher ? »
— « Non. » Ponticelli se leva d’un bond, les yeux brillants d’une lueur fiévreuse. « Je vais m’assurer qu’ils ne puissent jamais l’avoir. »
— « Mon commandant, vous êtes malade ? » Morvan attrapa son bras. « Vous allez faire quoi ? »
— « Ce qu’il faut. » Ponticelli se dégagea et se dirigea vers l’abri blindé, une vieille remorque rouillée qui avait survécu à trois bombardements.
— « Attendez ! » Veyrat le suivit, paniqué. « Vous pouvez pas nous laisser comme ça ! »
— « Je ne vous laisse pas, » répondit Ponticelli en ouvrant la porte grinçante. « Je vous donne une raison de tenir. »
Il déposa son pistolet sur une caisse, puis y posa la Croix de Guerre. « Soudez cette porte. Maintenant. »
— « Mais… pourquoi ? » demanda Veyrat, les larmes aux bord des yeux.
— « Parce que certaines choses doivent rester à nous, » murmura Ponticelli. « Même dans la défaite. »
Les soldats échangèrent des regards incertains. Puis, un à un, ils attrapèrent leurs chalumeaux.
Le tonnerre gronde au loin, mais ce n’est pas le ciel. C’est le sol qui tremble.
Une vibration sourde monte des entrailles de la terre. Les flaques se mettent à frémir, leurs surfaces se couvrant de cercles concentriques. Les soldats échangent des regards lourds. Personne ne parle. Personne ne respire.
Pas un cri humain.
Le sol vibre sous les pas des Kavouri. Une armée invisible dans la nuit. Puis un rugissement, guttural, monstrueux. Les sirènes du camp hurlent. Les hommes se mettent en position.
Puis le vacarme commença : des tambours sourds des canons, une clameur bestiale, des silhouettes qui avançaient dans la brume. Les fusils DARGON crachent leurs dernières balles. Les traînées bleutées des tirs déchirent la nuit. Mais les Kavouri avancent, méthodiques, monstrueux, insensibles aux pertes.
— « DARGON ! ÉCOUTEZ-MOI ! Ce camp, personne ne le reprendra vivant !
La ligne recule. Les hommes tombent un à un. Mais Ponticelli tient. Il tire, recharge, tire encore. Sa voix se déchire.
Un obus plasma frappe l’abri principal. Des débris retombent comme une pluie de feu. La fumée envahit le camp. Ponticelli sentit une douleur fulgurante lui déchirer le ventre, mais il continua à donner des ordre, à hurler des consigne, à refuser de tomber. Ponticelli lève une dernière fois les yeux vers le ciel...
Le silence, et l’odeur du sang.
La mort, ce jour-là, eut son dû.
La doctrine ils ne passerons pas... vaincre ou mourir...
VI. Cinquante ans plus tard
Colonie 14402 la Zone 2123A n’était plus qu’un champ de ruines, un nom oublié dans les archives militaires. Personne ne se souvenait des vingt-cinq hommes qui y étaient morts ce jour-là.
Jusqu’à ce qu’une équipe de récupération, en dessoudant la porte d’une vieille remorque blindée, ne tombe sur un pistolet et une médaille.
La Croix de Guerre de Lazare Ponticelli reposait sur une caisse rouillée, intacte, comme si le temps n’avait pas osé la toucher.
Le camp fut retrouvé cinquante ans plus tard.
Aujourd’hui, la Croix de Guerre de Lazare Ponticelli repose dans le musée des unités Dargons, derrière une vitre blindée. Une relique. Un symbole.
“Zone 2123A.
Ici, vingt-cinq hommes ont tenu.
Commandant Lazare Ponticelli.
Ils ne sont pas morts.
Ils sont restés debout.”
Les visiteurs passent devant sans comprendre. Ils ne voient qu’un bout de métal.